Corinne Vezzoni, « Une certaine idée du mystère »

#Architectes Publié le 24 septembre 2017 par L'Echo de la Baie

Elle vient d’inaugurer le siège d’Eiffage au coeur de Smartseille, premier écoquartier hightech de la cité phocéenne, et thecamp, campus dédié aux nouvelles technologies dans la garrigue aixoise, à l’architecture aussi innovante que son concept. Elle s’apprête à livrer courant 2018 Le Thémis à Paris, premier bâtiment tertiaire labellisé E+C-. Rencontre avec Corinne Vezzoni.

À marseille, l’agence Vezzoni & associés* loge à la « maison du Fada», la Cité radieuse de Le Corbusier. Corinne Vezzoni, y-a-t-il une personne, une œuvre, un bâtiment qui ont décidé de votre vocation d’architecte ?

Corinne Vezzoni : J’ai grandi à Casablanca et je pense avoir été très marquée par l’architecture moderne développée au Maroc dans les années 1950. Les architectes y ont témoigné d’une grande liberté d’expérimentation tout en empruntant à l’architecture vernaculaire – le toit terrasse, les pilotis… – et en tirant parti d’une lumière extraordinaire, le matériau idéal pour un architecte. J’y pense souvent quand l’agence travaille sur des lycées : si les élèves découvrent une qualité spatiale, ils s’en souviendront peut-être plus tard. À Vence, pour ma plus grande joie, les élèves du lycée Henri Matisse me tiennent au courant, lorsqu’ils se servent du bâtiment dans leurs travaux avec leur prof d’arts plastiques ou, par exemple, quand la direction a supprimé les éclairages au sol (rire).

Par-delà les distinctions**, quels moments dans votre parcours ont influencé votre pratique ?

Corinne Vezzoni : Il y a d’abord eu la rencontre avec Mario Fabre à ma sortie de l’école d’architecture de Marseille-Luminy. Cet architecte marseillais empreint du mouvement moderne était très concerné par ce que l’architecture peut apporter aux hommes. Il m’a tendu la main, comme à d’autres, en m’associant à un concours… que nous avons remporté. Puis il y a eu le concours pour les archives départementales des Bouches-du-Rhône (livrées en 2007, NDLR). Bien qu’à peine connue, l’agence a été sélectionnée et s’est retrouvée face à des stars ; on a mis tout ce qu’on avait sur ce projet et on l’a gagné à l’unanimité ! Récemment, l’attribution du grand projet urbain Toulon Chalucet ainsi que deux marchés par la Société du Grand Paris marquent un vrai tour-nant (les gares de Rosny-Bois-Perrier, sur la ligne 15, et de Satory, sur la 18) en nous donnant l’occasion formidable de travailler sur de très grandes échelles urbaines.

Une exposition dédiée au travail de votre agence titrait « L’archiméditerranéenne »***. Quésaco ?

Corinne Vezzoni : Nous sommes très peu nombreux à désirer une activité nationale tout en restant en province. C’est plus long, mais c’est un choix assumé, qui, à Marseille, tient notamment à un certain rapport à l’horizon… La difficulté d’être « loin » oblige aussi à se nourrir d’ailleurs. Mais la Méditerranée a forgé ma manière de travailler et de m’adapter toujours au contexte.Face à un site, vous parlez d’homomorphie et d’ « affrontomorphie »…Un exemple. À Marseille, le projet des Archives départementales & Biblio-thèque de prêt affrontait un site géant : la rade est immense, les autoroutes surplombent le site. Pour exister au milieu de cet enchevêtrement de voies, on avait deux terrains, mais deux bâtiments auraient été écrasés ; j’ai donc proposé de n’en faire qu’un en super-posant les programmes, montant au maximum de ce qui était autorisé à l’époque. Le terrain libéré a été converti en jardin public pour le quartier. Le résultat apporte une réponse à la fois urbaine et humaine.Vous évoquiez la lumière méditerranéenne.

Comment abordez-vous la question des ouvertures ?

Corinne Vezzoni : J’ai une gestion très économe des ouvertures, en lien avec une certaine idée du mystère qui me vient de mon enfance au Maroc : on ne donne pas tout à voir tout de suite. Une ouverture, c’est une mise en scène, un cadrage que je travaille souvent en lien avec l’épaisseur du cadre. Avec une façade vitrée toute hauteur vous avez le sentiment d’être projeté à l’extérieur ; à l’inverse, une fenêtre très profonde dont les contours sont épais, c’est l’extérieur qui entre dans l’espace. Mais il s’agit toujours de contextualiser. Dans le Centre de conservation et de ressources du MuCEM, à Marseille, des canons de lumière descendent loin dans le bâti-ment. Sur le projet de campus innovant thecamp, implanté en pleine nature près d’Aix-en-Provence, on a les deux : ses « incubateurs » cylindriques sont totalement vitrés, mais le chapiteau inversé qui les abrite s’avance bien au-delà de leurs limites, créant ainsi une mise à distance formant un cadre.À Paris, le projet du Thémis, au contraire, répond au besoin de capter le maximum de lumière. On est sur le boulevard périphérique, en façade nord et face à un nouveau Tribunal de Paris tellement gigantesque qu’on est invisible ; nous avons donc installé le bâtiment dans l’exacte continuité du socle du tribunal en empruntant le rythme et la proportion de sa façade, avec un vitrage extra clair pour un bâti-ment très lumineux, un éclat inspiré à la fois par la préciosité et la structure en double paroi avec coque chromée des flacons de parfumerie. La première peau s’inscrit dans la continuité du projet de Renzo Piano et sert aussi d’écran acoustique ; à 1,50 m environ, la deuxième peau s’inclinera légère-ment vers le ciel et ses systèmes de stries chromées produiront des effets d’optique et de miroitement étonnants, d’irisation et de profondeur de champ, qui troubleront la lecture du bâtiment.
* L’agence a été fondée en 2000 par Corinne Vezzoni et Pascal Laporte, rejoints en 2007 par Maxime Claude. www.vezzoni-associes.com
** Prix de la Femme Architecte 2015, Chevalier des Arts et des lettres en 2013, Chevalier de la Légion d’honneur en 2016.
*** Archiméditerranéenne, à La galerie d’architecture (Paris, 25 nov. 2016-7 janv. 2017) et à la Villa Méditerranée (Marseille, 24 fév.-23 avril 2017)

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